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ZAC du Long Buisson 3, un projet néfaste pour le territoire

Le projet d’aménagement économique nommé ZAC (zone d’aménagement concerté) du Long Buisson 3, car il revient à reproduire pour le meilleur mais surtout le pire les secteurs du Long Buisson 1 et 2, porté par la Communauté d’Agglomération d’Évreux Portes de Normandie (EPN), a connu le 19 octobre 2020 un sévère revers !

 

C’est en effet à cette date que Jérôme FILIPPINI, Préfet de l’Eure, a écrit à Guy LEFRAND, Maire d’Évreux et Président d’EPN, pour retoquer ce projet. Le représentant de l’État s’appuie sur les conclusions de la Commission Départementale de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles, et Forestiers (CDPENAF). Conclusions ponctuées par un avis défavorable. Le motif avancé par la Commission est l’insuffisance des mesures destinées à compenser la consommation de terres agricoles.

 

Il est rappelé ici que la ZAC LB3 consiste en un aménagement couvrant environ 57 hectares. Le site d’implantation est localisé au sud d’Évreux, bordé par le magasin Décathlon à l’ouest, le stade Mathieu Bodmer au nord, le hameau de Melleville à l’est, et la RN 1013 au sud. Les grandes composantes du projet sont des bâtiments, des voiries, et des espaces végétalisés. Les constructions devraient accueillir des activités d’artisanat, de petite industrie, et de commerce inter-entreprises. Il faut mentionner également la construction prévue d’un complexe aquatique intercommunal, à proximité du stade précité. Disposition importante : le projet prévoit aussi la création d’une bretelle d’accès depuis la RN 1013.

 

L’Association des Usagers des Forêts d’Évreux et ses Environs (AUFEE) et le Collectif Vigilance Citoyenne des Portes de Normandie (CVCPN) ont combattu le projet dès son émergence, suivis par l’association Évreux Nature Environnement (ENE), qui a très clairement mis en exergue ses impacts écologiques négatifs. Invités à la table des discussions, ces 3 adversaires d’un aménagement déraisonnable se sont montrés unis et déterminés à ne pas servir de caution environnementale, mais bien à démontrer les limites écologiques de la zone d’activités, et qu’il existe d’autres possibles. « On ne commence pas un projet d’aménagement par le choix des essences des végétaux pour montrer qu’il prendra en compte l’environnement, surtout lorsque rien ou presque n’est dit sur les bâtiments qui seront construits et sur les activités qu’ils abriteront », tempête Danielle BIRON, Présidente d’ENE. Tous 3 sont solidaires du Préfet dans sa prise de position récente et de l’argument donné. Mais ils ont pendant des mois développé une argumentation bien plus complète…

 

Commençons toutefois par la réduction des espaces agricoles locaux que cette artificialisation des 57 hectares provoquerait. Actuellement, les terrains voués à la création de la ZAC sont utilisés presque entièrement cultivés par des agriculteurs. Bien que les méthodes d’agriculture appliquées ne soient pas exemplaires sur le plan environnemental et relativement aux aliments qui en sont issus et qui peuvent contenir des résidus toxiques pour le corps humain, il reste cependant préférable de conserver une utilisation semi-naturelle de ces sols. Car celle-ci peut être amendée, voire être transformée pour améliorer son bilan écologique et sanitaire. La sortie de terre d’un quartier d’activité n’est pas irréversible à l’échelle du temps long, mais on peut rationnellement affirmer qu’elle annihilerait toute possibilité d’évolution positive du site pour de nombreuses années. De plus, en réfléchissant plus largement à l’urbanisation galopante qui a cours en Normandie, en France, en Europe, et dans le monde, il est important de voir chaque mètre carré épargné par le béton ou l’enrobé comme une pierre apportée à la préservation de l’environnement global.

 

Pour évaluer l’impact néfaste d’un tel projet sur l’environnement, il convient également de considérer les flux qu’il va générer. Un nombre important de véhicules se rendra sur cette zone et en partira. Des transports de personnes, les travailleurs, les partenaires, les clients, etc, ainsi que de marchandises auront lieu quotidiennement. Étant donné l’emplacement de la ZAC, sa desserte, et la nature des activités qui s’y dérouleront, les déplacements se feront principalement en voiture et en camion, avec les émissions de gaz à effet de serre, de particules fines, et d’autres substances polluantes et toxiques qui suivront. Par ailleurs, la création d’une bretelle d’accès depuis la RN 1013 pousse ce projet à la caricature en matière de choix des modes de transports que la puissance publique doit faire, ou plutôt ceux qu’elle doit privilégier au regard de l’urgence climatique. Là, point d’évolution par rapport aux décennies précédentes, ces dernières décennies ayant de plus engendré l’accélération des dérèglements climatiques : voitures, camions, et voies rapides, des kilomètres et des kilomètres pour livrer, recevoir, et travailler.

 

Et puis, quelle architecture promeut ce type de zones ? Une architecture soumise, plus que d’autres encore, à des contraintes économiques fortes. Contraintes qui s’imposent en réalité car les investisseurs dans ces secteurs visent 2 objectifs principaux : efficience et rentabilité. Il se trouve qu’ils sont dans leur rôle d’agent économique à la recherche de nouvelle opportunités, et il se trouve qu’il existe des représentants de l’intérêt général qui devraient œuvrer au développement équilibré du territoire qu’ils administrent. L’EPN faillit ici à sa mission en consacrant un des derniers fonciers urbanisables dans les limites de la ville d’Évreux à un aménagement anachronique. Car pour en revenir à la question, les constructions qui seront édifiées dans la ZAC du Long Buisson 3, pour atteindre l’objectif du moindre coût, seront composées des matériaux de construction les moins chers à l’achat et les plus simples et rapides à la mise en œuvre : le béton, l’acier, l’aluminium, le PVC, la laine de verre ou de roche, etc. Ces composants sont des gouffres environnementaux de par leur production et leur transport, et leur recyclage en fin de vie des bâtiments reste compliqué et peu efficace. Ensuite, pour les mêmes raisons financières, ces édifices montrent des performances énergétiques assez faibles par rapport à ce que les professionnels sont en mesure de réaliser de nos jours. Enfin, aux niveaux esthétique et paysager, Il ne faut espérer aucun geste architectural ni aucune innovation ni aucune recherche d’insertion réussie dans le tissu urbain environnant. Ces 3 points évoqués d’architecture, de construction, et d’énergie, ne peuvent de toute façon être traités de manière qualitative par l’EPN et les investisseurs car intrinsèquement, une zone d’activités poursuit d’autres buts. Sur ces sujets, l’EPN se contente de préciser que les maîtres d’ouvrage constructeurs devront respecter les réglementations en vigueur, sans chercher comment faire émerger des projets de qualité, et ce alors que l’aménageur d’une ZAC possède un fort pouvoir prescriptif auprès des acquéreurs des lots commercialisés.

 

L’argument principal de l’EPN pour justifier l’aménagement du Long Buisson 3 est justement économique. La venue de dizaines d’entreprises est supposée créer environ 2 000 emplois à destination des habitants du territoire. Mais ce chiffre relève pour le moment de l’incantation. Aucun document publié dans le cadre de la concertation, ou de la communication de la collectivité sur le projet, ne vient l’étayer. En outre, comment comprendre cette information ? S’agit-il de 2 000 emplois nets à l’échelle du territoire de l’EPN, c’est-à-dire ceux créés et ceux détruits par la ZAC ? Ou s’agit-il de 2 000 emplois créés par la ZAC dont il faudrait déduire ceux détruits ailleurs sur le territoire ? Le résultat n’est pas le même en fonction du mode de calcul retenu. On ne connaît pas non plus la qualité des travails qui seront à pourvoir, car personne ne sait à l’heure actuelle les entreprises pressenties pour venir ouvrir leurs portes au sud d’Évreux. Ce qui mène à une autre problématique qui porte sur l’identité des entreprises qui s’installeront, et avec leur identité leurs pratiques en matières sociale, fiscale, et écologique.

 

Zoomons maintenant sur le projet de construction d’un complexe aquatique intercommunal. Initiative louable en soit. Une agglomération de l’envergure de celle de l’EPN se doit en effet d’offrir à sa population des équipements publics modernes, sûrs, avec un panel d’activités intéressantes. Ce type de lieu au rayonnement par-delà les frontières du territoire permet aussi de faire venir des utilisateurs plus lointains, contribuant au bon fonctionnement du système économique local, et plus généralement, rendant Évreux et son agglomération plus attractive. Toutefois, cette dernière n’est pas démunie en matière d’équipements aquatiques. Il y a la piscine Jean Bouin et la piscine Plein Soleil. La seconde se trouve à l’entrée du quartier de la Madeleine, à quelques centaines de mètres du site d’implantation du projet. Certainement est-elle vouée à la démolition ? Mais enfin, il est surprenant de prévoir de dépenser plusieurs millions dans une piscine neuve sans avoir étudié avec sérieux la réhabilitation celle existante. Sur le plan environnemental d’abord, car donner un second souffle aux bâtiments existants est plus vertueux car cela permet d’économiser l’extraction, la production, le transport, et la mise en œuvre de matériaux et produits faisant partie de l’ossature d’un bâtiment. Sur le plan urbain ensuite, car la piscine Plein Soleil est intégrée à un fonctionnement urbain déjà existant et éprouvé. Sur le plan de l’aménagement du territoire aussi, car le site de la piscine de la Madeleine a été urbanisé il y a presque 60 ans, et maintenir la piscine ici évite d’étendre l’urbanisation au Long Buisson 3. Sur le plan social également, car le lieu est utilisé depuis des décennies par plusieurs générations d’Ébroïciens et d’Ébroïciennes, notamment habitant le quartier de la Madeleine, et qui peuvent éprouver un certain attachement à cet équipement faisant partie de l’histoire locale. Sur le plan financier enfin, car construire un bâtiment neuf est bien souvent plus onéreux que de réhabiliter un édifice existant (économies sur le foncier, l’ossature, les infrastructures de desserte, etc), quoique ce point mériterait une étude spécifique.

 

Une réflexion sur l’aménagement économique local aurait pu, dû, être menée à l’échelle de l’agglomération d’Évreux, et même plus simplement de la ville d’Évreux. Il est admissible par tout un chacun que le tissu économique d’un territoire est tenu d’évoluer régulièrement, et avec lui les espaces dédiés aux activités commerciales, industrielles, et artisanales. Favoriser de nouvelles implantations, des extensions, des déplacements d’activités, etc, est une des problématiques qu’une collectivité locale doit traiter avec intelligence. Favoriser un développement territorial équilibré et préserver son environnement font aussi partie des prérogatives d’une collectivité. Considérant ces 2 responsabilités, peut-être la ZAC LB3 aurait-elle pu sortir de terre ailleurs dans le tissu urbain existant. On pense tout de suite aux friches industrielles que sont les Usines de Navarre, Aspocomp, ou d’autres. Et c’est pertinent car elles ont été des lieux d’exploitation au cœur de la ville durant des décennies. La désindustrialisation progressive de l’important bassin d’activités qu’était Évreux a transformé ces temples de la production en zones fantômes, des trous noirs dans la ville. Leur redonner vie, réhabiliter (aux sens techniques et urbain, mais aussi social et économique) ces espaces, et plus concrètement les réutiliser serait non seulement un symbole fort de renaissance, mais aussi et surtout une preuve de bonne gestion des ressources locales. Alors oui, le programme de l’aménagement ne serait pas tout à fait le même. Oui, des surcoûts liés au foncier (acquisition et dépollution) et à l’immobilier (démolition) seraient à intégrer au bilan financier de l’opération. Mais l’équilibre entre économie et environnement sera toujours plus compliqué à réaliser que la promotion de l’économie uniquement.

 

La pertinence de la dépense publique et des objectifs qu’elle sert, voilà un autre aspect du LB3 qui pose question. En tant qu’aménageur, l’EPN se porte acquéreur des terrains qui composent l’emprise du projet, avant de les revendre aux investisseurs qui y bâtiront chacun leur projet immobilier qui, comme il est expliqué plus haut, feront preuve de peu de vertu. La Communauté d’Agglomération investit donc dans la détérioration de son territoire, de son image, et dans la fuite en avant d’un pays qui pense encore que le seul modèle de développement qui vaille est celui qui fait passer les enjeux écologiques et sociaux derrière les chiffres de l’économie, locale pour l’EPN, nationale et mondiale pour l’État. Les dirigeants politiques doivent sortir de leurs habitudes, ou pire de leur dogmatisme, et affecter l’argent public à des fins utiles à l’intérêt collectif et répondant aux défis de leur époque.

 

Si le projet, comme il vient d’être démontré, est néfaste pour le territoire, la méthodologie adoptée par l’EPN pour le porter laisse elle aussi à désirer. Nul besoin de s’étendre sur ce sujet tant les conclusions de l’enquête publique qui a été menée pour l’évaluation de ce projet d’aménagement, conformément à la loi qui oblige les aménageurs à se soumettre à de telles procédures, ne laissent aucune place au doute quant au simulacre de concertation qui été mis en œuvre. De plus, il ressort également de l’enquête que plusieurs procédures administratives obligatoires et conditionnant implicitement la faisabilité du projet n’ont pas été respectées.

 

Pour finir, Évreux Nature Environnement a à cœur de montrer que d’autres voies sont possibles. Une collectivité en charge d’aménager et de développer son territoire ne fait pas que répondre, contrainte, à des lois de compétitivité territoriale qui l’obligeraient à rester coûte que coûte dans le train du moins-disant social et environnemental. ENE et les associations locales ont imaginé ce que pourraient devenir ces 57 hectares. Des idées circulent qui permettraient une utilisation des terres dont les bénéfices seraient tirés par les habitants du territoire, et qui préserveraient ces sols. L’exemple d’une ferme urbaine collective dont la production alimenterait les cantines des écoles, des hôpitaux, ou encore des EHPAD, de l’agglomération, a été avancée…et pas même étudiée par les autorités. Une Collectivité aux prises avec les enjeux du siècle aurait pu également soutenir les agriculteurs en place, ou d’autres voulant s’installer, dans la conversion de ces surfaces à l’agriculture biologique de variétés nécessaires au rééquilibrage alimentaire. On aurait pu imaginer également un aménagement économique, mais au service d’activités commerciales et industrielles participant au renouvellement positif de leurs filières (usines de fabrication de matériaux de construction écologiques, ou de produits médicaux (masques, blouses, respirateurs, etc), ateliers de réparation et de reconditionnement des produits électroménagers et électroniques, etc). Un mix de ces pistes aurait pu être intéressant également. Ou alors, une absence de projet et une vision des terres vierges de construction consistant à les consommer lorsqu’un besoin réel et collectif est identifié…

 

 

Article rédigé par OmainR, d’Évreux Nature Environnement.

 

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